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La grande aventure des zecs débutait il y a 45 ans

Les Zones d’exploitation contrôlée (ZEC) fêtent leur 45e anniversaire de fondation. Michel Corbeil, ex-journaliste politique au quotidien Le Soleil, revient sur les débuts des zecs et leur situation actuelle.

Par Michel Corbeil

Rendez-Vous Nature vous convie à un voyage dans le temps, les archives et les mémoires des zecs du Québec dans le cadre de leur congrès présenté, cette fin de semaine (24-25-26 mars 2023), à Québec.

Il y a 45 ans, ce printemps, c’était l’opération « déclubage ». Les clubs privés de chasse et pêche, qui disposaient de droits exclusifs sur de vastes territoires publics, étaient abolis au profit des Zones d’exploitation contrôlée, les zecs. Retour sur une saga politique.

Le 22 décembre 1977, le ministre Yves Duhaime (alors au Tourisme, Chasse et Pêche) se lève à l’Assemblée nationale pour une déclaration solennelle mettant fin à une pratique qui remontait au XIXe siècle.

Le gouvernement de René Lévesque, en poste depuis un an à peine, ouvrira la vaste majorité du territoire québécois à tous les pêcheurs au lancement de la saison 1978.

Dans un sens, ce n’est pas une grande surprise. Depuis le début de la décennie 1970, le PQ prône l’abolition de ces clubs privés et les autres partis politiques conviennent du principe. La réforme ne passe pas pour autant comme lettre à la poste.

Des chroniqueurs s’élèvent contre la façon de procéder au « déclubage », façon qui met en péril, à leurs yeux, la protection de la faune. Au cours des premiers mois de l’expérience, Le Soleil y voit « anarchie », « improvisation » et « vent de folie (…) sur les territoires nouvellement libérés ».

Dans des hebdomadaires, comme L’Écho de la Lièvre, dans la région de Mont-Laurier, le chroniqueur Guy Pagé accuse le ministre Duhaime de se lancer dans une aventure qui se traduira par une « destruction » faunique.

À l’Assemblée nationale, l’opposition en a contre « l’improvisation» qui guiderait le gouvernement. Mai 1978, le critique libéral Michel Pagé déplore braconnage, retard dans l’agrément des zecs et beaucoup de flou pour l’accès et le contrôle de la pêche, en ce début de saison.

Mais sachons que la petite révolution qui produit les zecs est en route depuis les années 1960.

Des territoires souvent interdits

L’octroi par bail de droits exclusifs de chasse et pêche sur les terres publiques du Québec date de 1887, signale le mémoire qu’Yves Duhaime transmet à ses collègues du conseil des ministres. Cette location de droits exclusifs sur des terres appartenant à l’État n’existe nulle part ailleurs au monde, poursuit le document daté du 1er décembre 1977.

Il se trouve alors encore plus de 1200 clubs privés, couvrant 65 000 kilomètres carrés, plus grand que toute l’Abitibi-Témiscamingue, deux fois la Belgique. Des territoires souvent interdits aux pêcheurs et chasseurs locaux.

Un exemple : le secteur « clubé » qui deviendra la zec Petawaga, dans les Hautes-Laurentides, est situé à 80 kilomètres de Mont-Laurier, à une soixantaine de Ferme-Neuve. Le secrétaire-trésorier de la zec, Jean-Marc Bélanger, se souvient qu’aucun pêcheur local n’avait le droit d’y lancer sa ligne : le « Rod and Guns » appartenait à de riches Montréalais.

À l’époque, le Québec compte probablement plus d’un million de détenteurs d’un permis de pêche. Les clubs privés n’accueillent que 27 000 membres, selon le mémoire. De riches Canadiens de l’extérieur du Québec et des Américains occupent 3000 places. Les 24 000 autres reviennent à des Québécois, une fraction infime de la population totale de la province.

Les « cols bleus», qui constituent 70 % de la main-d’oeuvre, ne représentent que la moitié des membres. Dans un essai, le chroniqueur Henri Poupart, partisan du « déclubage » affirme que la liste des véritables propriétaires de « clubs » est « secrète ». Que plusieurs grandes familles du pays ou riches industriels étrangers se cachent derrière des prête-noms.

Occupations et contestations

C’est dans ce contexte que la contestation monte. En 1969, des secteurs de pêche privés sont la cible du Mouvement pour l’abolition des clubs privés qui organise l’occupation de lacs. Certains manifestants sont traduits en justice.

Le célèbre syndicaliste Michel Chartrand fait la Une du Soleil en 1971 par son arrestation, lors d’une telle tentative « d’invasion » d’un club près de Saint-Alban, dans Portneuf. Dans le secteur de Saint-Alexis-des-Monts, en Mauricie, des contre-manifestants détruisent un pont pour bloquer le passage aux contestataires.

Dès l’été 1970, l’Association des outfitters (les pourvoiries) prend position publiquement pour réclamer l’abandon d’un système qu’elle juge « désuet et féodal ». Elle souligne que les États-Unis n’ont pas de tels clubs privés — par contre, à peine 4 % de la superficie de ce pays appartient au privé tandis qu’ici, les forêts appartiennent largement, note l’Association.

Surtout, aucune des autres provinces canadiennes, contactées une à une par les « outfitters », n’en a et n’a l’intention d’en avoir. Le regroupement des pourvoyeurs réclame la transformation des « clubs » en pourvoiries pour assurer l’accès.

Déjà, l’Union nationale, fondée par Maurice Duplessis, puis, le Parti libéral du Québec le reconnaissent en prenant le pouvoir, le premier en 1966, le second en 1970 : la formule constitue « un anachronisme (…) et un obstacle à l’égalité des chances d’accès », résume une note citée dans « Les zecs, 25 ans d’histoire ».

Aucun ministre n’osera abroger un système de bail qui octroie des droits exclusifs de chasser et pêcher à des groupes. Ils se limiteront à en éliminer, avec compensation financière, et à augmenter la superficie de parcs et réserves.

La prise du pouvoir par le PQ

En 1887, l’aménagement de « club » pouvait se défendre puisque l’État ne disposait pas des moyens pour protéger la faune. Le mémoire au cabinet Lévesque signale qu’en 1977, « la tâche des « gardiens de clubs » se limite ordinairement à empêcher les non-membres d’accéder aux possibilités récréatives offertes par le territoire (…) et à assurer l’entretien ». Le volet « protection » est « négatif ».

La prise du pouvoir par le PQ sonne la fin des privilèges. Dans l’espace public, le parti de René Lévesque recevra aussi des appuis. Par exemple, au chroniqueur Guy Pagé qui prédit qu’advenant la remise à Ferme-Neuve de la zec Petawaga, il surviendrait un « fouillis monumental », le PQ de Mont-Laurier répond que « ce jugement ressemble étrangement à celui d’un colonisé ».

Le gouvernement Lévesque estime cependant qu’il n’a pas les moyens de dédommager les membres des clubs pour la perte de leurs installations. Il décrète qu’il ne fera qu’éliminer les baux qui se terminent massivement le 31 mars 1978.

Le ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, Yves Duhaime, confiera gestion et protection à des bénévoles qui prendront en charge les zecs. Plusieurs

évaluent qu’il en aurait coûté plus de 50 millions $ pour indemniser les « clubs ». Avec son procédé, le gouvernement s’en tirera pour une facture environ 15 fois moindre.

Le reste, c’est de l’histoire. Les zecs sont toujours là. Les Zones d’exploitation contrôlée ne sont pas remises en question. Interrogé 40 ans plus tard, l’ex-ministre Yves Duhaime laisse tomber qu’une formule qui traverse l’épreuve du temps doit être une bonne formule.

Auteur : Rendez-Vous Nature

Catégorie : Réseau Zec

Publié le : 2023-03-24 11:10:20