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Un règlement trop contraignant pour l'aviation de brousse au Canada

Le nouveau règlement anti-fatigue de Transports Canada complique la vie des compagnies d’aviation de brousse du Québec

Il peut entraîner des bris de services et des coupures dans la chaîne d’approvisionnement de plusieurs communautés.

Pour les Québécois(es) qui vivent dans les grandes villes, l’aviation de brousse est loin dans l’ordre de leurs priorités. Ailleurs toutefois, elle est une réalité bien vivante pour plusieurs personnes, y compris les communautés éloignées pour qui elle représente un service essentiel.

« Pour nous, ce règlement vient nous compliquer la vie d’une part mais aussi, il peut rendre impossible d’offrir le service aux gens qui ont besoin de nous », d’expliquer Jean Blanchard, propriétaire de la compagnie Air Tamarac, qui possède plusieurs bases au Québec. 

« La façon de procéder qui nous est imposée risque de créer des situations déplorables, comme une rupture de services essentiels, autant pour nos clients pêcheurs et chasseurs que pour les communautés nordiques et les compagnies opérant dans le nord, qui ont besoin de nous en tout temps. Nous devons être disponibles. »

Dans les faits, le nouveau règlement stipule qu’un pilote doit observer un horaire de huit heures par jour et obtenir une journée de congé par semaine. Le problème, c’est que dans la réalité, les pilotes de brousse font très souvent des semaines de sept jours sur sept, mais ne travaillent pas huit heures par jour, mais selon des heures coupées. 

Le côté fatigue n’entre pas vraiment en ligne de compte. C’est la façon de procéder qui se fait depuis des années et tout fonctionne très bien. 

« La journée de repos obligatoire tous les six jours de vol complique les choses et n’est surtout pas adaptée à la réalité d’une opération de brousse saisonnière. »

UN MANQUE DE COMMUNICATION

La mise en place de ce nouveau règlement suscite beaucoup d’interrogations du côté des propriétaires de compagnie d’aviation de brousse.

« Ce règlement a été conçu en premier lieu pour répondre aux opérations de compagnies de gros porteurs. Dans leur cas, la fatigue peut intervenir pour le pilote qui doit faire de longs trajets et souvent subir les conséquences du décalage horaire », mentionne Jean Blanchard. 

« Dans le cas du pilote de brousse, il vit souvent au rythme des voyages qu’il doit faire. Ces derniers ne durent pas de longues heures d’affilée, ce qui fait que, selon nous, le facteur fatigue n’entre pas en ligne de compte. 

« Aussi, dans notre milieu, les pilotes sont rares et très difficiles à trouver. Donc, dans certains cas, pour satisfaire les exigences de Transports Canada, nous devrons utiliser de jeunes pilotes, sans expérience. Aussi, si le congé du pilote se produit alors que ce dernier est affecté à une base d’opérations éloignée, le bénéfice personnel retiré de la part du pilote pour sa journée de congé est souvent minime. 

« Nos pilotes doivent suivre des cours sur la sécurité et sur différents thèmes se rapportant à leurs conditions de travail et pour les opérations de leur aéronef. Ils sont professionnels. Nous demandons un moratoire pour nous expliquer avec Transports Canada. Nous devions être consultés sur le projet de règlement, ce qui n’a pas été fait. »

BERNARD GERVAIS

Pour le vice-président d’Aviateurs Québec, qui a déjà été président de l’Association des pilotes de brousse du Québec, Bernard Gervais, il faut vraiment que l’application de ce règlement soit suspendue temporairement, très rapidement, le temps de l’adapter à la réalité.

« J’appuie la demande de moratoire. Il faut pouvoir expliquer la réalité de l’aviation de brousse et comment, si on remplace un pilote d’expérience par un jeune sans expérience afin de combler une coupure de services lors d’un congé, cela peut être carrément dangereux. 

« Les grandes compagnies aériennes ont des horaires fixes et un personnel complet, y compris pour assurer les remplacements, ce qui n’est pas le cas pour la brousse. Les horaires sont coupés et les compagnies n’ont pas les moyens financiers de pouvoir garder une équipe de pilotes en attente au besoin. 

« Il en va ici de la survie financière de plusieurs entreprises. Si ces compagnies cessent leurs opérations, il y aura coupure de services essentiels pour plusieurs régions du Québec et du Canada. C’est cette réalité que les gens qui sont à l’origine du règlement doivent comprendre. Tout ce que nous demandons, au fond, c’est d’être entendus. »

Tous les intervenants auxquels nous avons parlé du dossier sont d’accord que la sécurité doit s’appliquer en tout temps. Toutefois, il faut mieux tenir compte des réalités des différents milieux qui doivent vivre avec ce règlement.

Auteur : Julien Cabana

Catégorie : Nouvelles

Publié le : 2023-07-01 03:23:04