L'hémorragie se poursuit dans les cabanes à sucre
Les érablières commerciales en zone rouge ignorent toujours si elles réussiront à ouvrir leurs portes durant la saison des sucres 2021.
Rien pour freiner l'extinction des cabanes à sucre, qui a déjà coûté plus de 90 de ces salles à manger traditionnelles à la province depuis le début de la pandémie.
Si 2021 était une année sans COVID-19, l'Érablière Magolait de Magog ouvrirait ses portes le week-end du 28 février. Un rêve peu probable aujourd'hui.
La copropriétaire, France Demers, aurait bien voulu avoir de meilleures nouvelles lors de l'annonce gouvernementale, mardi. " Ce qu'on trouve dommage, c'est qu'on est considérés comme un restaurant, mais on n'est pas comme un restaurant, on n'a que dix fins de semaine pour faire notre argent. Ce qui a été dur aussi, c'est qu'on est une salle de réception, et qu'on n'a eu aucun mariage en 2020. "
L'Érablière n'a pu ouvrir que deux week-ends l'an dernier. " On avait beaucoup d'inventaires de nourriture qu'on a dû vendre au prix coûtant à notre entourage pour ne pas la perdre. Ça a été une grosse perte financière. On s'est retournés vers la promotion des produits d'érable qu'on fait pour être capable d'aller chercher un peu d'argent. On a fait des produits spéciaux pour Noël et pour la Saint-Valentin, et on va essayer de trouver quelque chose pour mars, on ne veut pas que les gens nous oublient " dit celle qui se montre très reconnaissante envers les fidèles qui viennent toujours se procurer ses produits.
Mme Demers ne dit pas craindre pas pour la survie de l'entreprise, puisqu'elle et son mari peuvent compter sur leur ferme laitière pour amortir certaines dépenses, mais les dépenses liées à la construction de leur nouvelle cabane, il y a à peine sept ans, demeures importantes.
Si elle n'est en mesure que d'ouvrir pour une ou deux fins de semaine, elle le fera. Elle se montre toutefois réticente à la préparation de mets pour emporter, notamment en raison d'enjeux de conservation des aliments jusqu'à la maison et de l'ambiance impossible à recréer.
Pan d'histoire en danger
" Le patrimoine est mis en péril à l'heure où on se parle, martèle Stéphanie Laurin, fondatrice et présidente de l'Association des salles de réception et érablières du Québec (ASEQC). Même si les propriétaires ont leur entreprise tatouée sur le c?ur parce que c'est transmis de génération en génération, j'ai chaque jour des gens devant moi qui ont les larmes aux yeux et qui ne voient pas la lumière au bout du tunnel. J'en ai qui ont vendu leur maison et qui dorment dans leur cabane à sucre parce qu'ils ne veulent pas mettre la clé dans la porte. "
Rappelons que le sondage réalisé par l'ASEQC en décembre dernier a démontré que sur les 200 érablières commerciales existantes au Québec, une quarantaine ont fermé leurs portes de manière définitive depuis mars, et qu'une cinquantaine ont décidé de cesser de servir de la nourriture pour se concentrer uniquement sur la production de sirop d'érable à l'avenir. " Il y en a aussi beaucoup qui se donnent le prochain printemps pour prendre une décision ", ajoute Mme Laurin.
De nombreuses cabanes à sucre ont aussi été mises sur le marché, selon elle, mais la majorité d'entre elles seraient plutôt achetées comme usine, entrepôt ou lieu pour transformer les produits de l'érable, sans intérêt pour les salles à manger.
" On représente un gros pan de l'histoire de notre identité québécoise, alors ce serait vraiment dommage qu'on perde ça au profit de la Covid. Reste à voir ce qui va nous arriver pour la prochaine saison, parce qu'on a quand même beaucoup d'espoir ", dit-elle, ajoutant qu'avant la pandémie, ce type d'entreprise se faisait déjà rare, puisqu'il est nécessaire d'avoir un droit acquis pour utiliser son terrain agricole de façon commerciale.
10 % des revenus pour le sirop
Selon Mme Laurin, les frais fixes peuvent s'élever jusqu'à 60 000 $ par mois pour certaines érablières. De quoi creuser un grand gouffre financier quand aucun revenu n'est au rendez-vous. Puisque même si les érables continuent de couler, le sirop ne représente en général que 10 % du chiffre d'affaires annuel des érablières commerciales. De plus, la portion de sirop normalement destinée à consommation sur place ne peut être soudainement vendue à la Fédération des acériculteurs et acéricultrices du Québec sans contingent.
C'est notamment le cas de l'Érablière Au Bec Sucré de Valcourt, qui ne possède aucun contingent auprès de la fédération. Madeleine Roberge et ses associés, des membres de la famille, doivent donc vendre leur sirop sur place.
" On a espoir de rouvrir, mais on veut ouvrir en toute sécurité, confie Mme Roberge. Ça fait longtemps que la cabane est là, alors la survie n'est pas en jeu, mais c'est certain que la rentabilité n'y est pas. Il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps. Ce qui est dommage, c'est le bonheur et la joie de vivre qu'on donne aux clients et qu'ils n'ont pas quand on est fermés. "
L'entreprise, qui sert des repas depuis 1985 et qui fonctionne encore selon la méthode traditionnelle, n'a pas encore pris de décision quant à la préparation de repas pour emporter. " Est-ce que les gens vont se déplacer jusqu'à Valcourt? " se demande-t-elle.
Réouvertures et adaptation
L'ASEQC demande déjà depuis plusieurs mois l'octroi d'aide financière et de subventions spécialement pour les propriétaires d'érablières commerciales, pour qui l'aide reçue se résume à un prêt fédéral de 40 000 $ et à la subvention salariale, une aide malheureusement " totalement hors contexte ", considérant que ces établissements sont fermés depuis mars dernier.
" Que ce soit de n'importe quel ministère, on voudrait avoir des réponses. Mais pour le moment, on n'en a pas ", déplore Mme Laurin.
Et pour celles qui seront autorisées à rouvrir, un préavis sera primordial, établit Mme Laurin. " Et le risque serait énorme d'avoir à rouvrir et refermer durant la saison. Ce serait catastrophique parce qu'il aurait eu des dépenses alors qu'on n'a aucune liquidité. "
Pour ne pas perdre de temps, dans un élan de solidarité " jamais vu ", l'ASEQC a donc mijoté un nouveau projet de repas pour emporter, qu'elle dévoilera en grande pompe le 22 février. L'initiative nommée " Ma cabane à la maison " rassemble 70 cabanes à sucre à travers le Québec, prêtes à " faire vivre au Québécois une saison des sucres réinventée ".
En attendant, Mme Laurin invite les Québécois à s'inscrire à l'infolettre au www.macabanealamaison.com pour être les premiers à réserver et à connaître les surprises au menu.
Auteur : La Presse Canadienne
Catégorie : Nouvelles
Publié le : 2021-02-19 13:37:43