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L’inventaire d’Anticosti remis en question

Pour plusieurs intervenants du milieu qui connaissent bien l’île d’Anticosti, le résultat du dernier inventaire, déposé en décembre, ne reflète pas la réalité.

Avant de le rendre public, les responsables du dossier au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) ont bien pris soin de le présenter d’abord aux gens concernés directement par la situation : les dirigeants de Sépaq-Anticosti, les pourvoyeurs privés et les habitants de l’île.

Ils sont unanimes sur le fait que le chiffre avancé de 38 000 (l’inventaire a été fait en août 2018) ne reflète pas du tout la réalité actuelle de l’île.

Mettons les choses au clair en partant. Il n’est pas question de contester le fait qu’il y a eu une baisse importante depuis l’inventaire de 2006, qui donnait comme résultat le chiffre mirobolant de 160 000 chevreuils sur l’île.

Si ce résultat en avait réjoui plus d’un, pour les gens qui connaissent un peu le domaine, il laissait plutôt présager exactement ce qui s’est produit, à savoir une chute drastique de la population.

Manque de nourriture, animaux plus faibles, capacité de support du milieu dépassée, autant d’éléments qui ont fait en sorte que les chevreuils ont causé eux-mêmes leur perte.

Ils ont rendu de plus en plus rare la nourriture dont ils ont besoin, en dévorant au fur et à mesure tout ce qu’il y avait de disponible.

Il n’y avait plus de réserves. Cela a eu pour effet que les chevreuils étaient plus petits, plus faibles et, au moindre effort pour sauver leur peau, ils périssaient.

Certes, il y a eu des hivers difficiles, mais à la base, cette surpopulation a fait en sorte que les conditions devenaient de moins en moins favorables pour les chevreuils de l’île.

Capacité de support

Il y a un principe très simple en biologie qui s’applique à toutes les espèces. Il s’agit de la capacité de support du milieu.

Pour faire une image simple, disons que si nous sommes quatre autour d’une table et qu’il y a constamment deux livres de viande à manger, nous allons bien nous porter.

Nous allons pouvoir résister aux assauts des maladies ou à des conditions de vie difficiles plus facilement parce que nous allons avoir l’énergie nécessaire.

Si par contre, en gardant toujours uniquement deux livres de viande à manger sur la table, notre nombre passe à 8, 12, 16, 20, 24 et ainsi de suite, force est d’admettre qu’à un moment donné, la nourriture va manquer.

En mangeant moins, nous allons devenir plus vulnérables à toutes les complications que la vie peut nous amener.

S’il y a un effort important à faire, les plus faibles vont en subir les conséquences, entraînant la maladie et même la mort pour certains. C’est exactement ce qui s’est produit avec le chevreuil à Anticosti.

Les experts s’entendent pour dire que la capacité de support du milieu anticostien pour le chevreuil serait de 100 000 têtes dans le troupeau.

Pour un territoire aussi vaste, de plus de 8000 kilomètres carrés, c’est logique.

Alors, lorsque vous arrivez à un chiffre de 160 000, il est parfaitement normal que les choses se compliquent et entraînent des conséquences graves pour la survie des individus.

De l’espoir

La raison pour laquelle les gens contestent ce résultat, c’est que depuis deux ans, on note une remontée du chevreuil et surtout une meilleure condition physique.

«Depuis deux ans, nous avons des indicateurs importants qui nous font croire à une remontée du troupeau», explique la biologiste responsable du dossier, Catherine Ayotte, qui a eu à présenter les résultats de l’inventaire.

«Il y a plus de chevreuils vus, les femelles ont plus de lait, le succès de chasse est meilleur, les bêtes sont plus grosses, autant d’indices que le chevreuil se porte mieux sur l’île», a ajouté la biologiste dans l’entrevue qu’elle nous accordait.

C’est exactement ce que les habitants de l’île et la majorité des personnes qui fréquentent le territoire ont pu constater.

En novembre dernier, mes deux compagnons de chasse ont abattu chacun un mâle adulte de huit pointes dont le poids dépassait les 160 livres.

Si on tient compte du fait que ces mâles avaient perdu du poids durant la saison des amours, on peut croire honnêtement qu’ils devaient peser 170 livres et plus avant cette période intensive où ils ne se nourrissent pas.

Des bêtes d’un tel poids, il y a longtemps que l’on n’en avait pas vu dans l’île. Nous avons pu voir d’autres mâles de ce genre durant notre séjour.

Certes, des chasseurs pourront dire que durant leurs séjours, au cours des deux dernières années, ils n’ont pas vu ou presque de chevreuils. Il faut se tourner vers les conditions qui règnent durant une période de chasse.

Comme tous les grands gibiers, le chevreuil n’aime pas les grands vents et les pluies très fortes qui peuvent parfois tomber sur l’île.

En période de pleine lune, ils vont circuler plus la nuit. Autant d’éléments qui peuvent faire la différence.

J’ai vécu personnellement de telles situations et honnêtement, j’avais l’impression de chasser dans le désert.

Reproduction rapide

Selon le biologiste responsable du dossier chevreuil au MFFP pour l’ensemble du Québec, François Lebel, le chevreuil possède une faculté de résilience assez impressionnante.

Il sait se relever rapidement de mauvaises situations et, surtout, son taux de reproduction est impressionnant. On peut penser à des taux de 20 à 25 %. À ce chapitre, il est champion devant l’orignal.

En tenant compte de ces données, on peut croire facilement que la population actuelle de chevreuils de l’île d’Anticosti dépasse les 50 000 bêtes.

L’hiver clément que nous connaissons présentement va certainement leur faciliter la vie pour se refaire des forces.

Il faut se rappeler qu’un inventaire, c’est une photo donnée, dans un lieu donné, à une période précise.

Les chiffres de 2018 n’ont fait que prouver qu’il y avait eu une baisse, mais honnêtement, je ne crois pas qu’ils reflètent la situation actuelle de la population de chevreuils sur l’île de Menier.

Auteur : Julien Cabana

Catégorie : Opinion

Publié le : 2020-01-08 15:42:32