
Est-ce que nous avons déjà côtoyé un cougar sauvage?

Nous nous situons à la pourvoirie du Lac Moreau, plus précisément dans le secteur du lac la Loutre, à l’extrémité sud-est.
Les montagnes s’élèvent au sud en territoire de la ZEC des Martres, et la gigantesque vallée qui scinde notre secteur en deux s’engouffre dans le Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie, à l’Est.
Un paysage magnifique à couper le souffle, ce n’est pas peu dire. L’aventure de chasse s’amorce le 1er octobre 2017 avec pour partenaires mon père (Claude), ma conjointe (Sonia) et ma mère (Louise), qui nous accompagne pour la première fois.
Motivé par la curiosité de ma conjointe dont j'ai eu le plaisir d’initier à la pêche, nous pratiquons la chasse seulement depuis l’automne 2015. La mode étant ce qu’elle est, la principale technique de chasse à l’orignal que j’ai apprise consiste à marcher stratégiquement dans les meilleurs habitats disponibles en “callant” la femelle en oestrus suivi d’un mâle très expressif.
Cette technique m’amène donc à arpenter inconsciemment les voies naturelles, à me mettre les deux pieds dans les “trails” de la grande faune et à témoigner d’expériences hors du commun.
Aussi préparés et confiants puissions nous être, cette aventure s’est révélée pleine de surprises. Certaines furent positives et d’autres pas du tout.
Outre les leçons de vie, les leçons d’humilité et les leçons de chasse, l’apparition du félin le plus mythique de nos forêt québécoises est la preuve irréfutable que la nature sauvage est imprévisible. Puisse-t-il en être ainsi éternellement!
Le fil des évènements
Voici en quelques lignes les évènements, observations et documents entourant tout ce qui a trait à la présence d’un couguar sur notre secteur de chasse à l’orignal. D’abord, sachez que ce secteur est très fertil et giboyeux.
Au cours de cette seule semaine, nous avons repéré des signes, des fientes, des traces et des clichés par nos caméras de surveillance d’à peu prêt tous les mammifères prédateurs de nos forêts, que ce soit l'ours, le loup, le lynx ou le renard. Tout cela inclut notre célébrité, bien sûr! Je m’attarderai donc uniquement sur les éléments les plus probants.
De drôles de crottes!
Ma conjointe et moi, qui avions convenu de chasser en suivant le modèle “guide / tireur”, marchions à travers une petite zone marécageuse à environ 300 mètres de notre lac, en bordure de montagnes escarpées. Cette séquence de chasse matinale ayant été infructueuse, nous empruntons une route de VTT pour retourner à notre chalet d’un bon pas.
À deux reprises plutôt qu’une, on remarque qu’un magnifique “tas” gît sur une pierre plate, bien en vue au centre de la route, tel un piège pour des piétons distraits. L’allure artificielle de la seine nous fait bien rire. Mon imagination créative raconte plusieurs scénarios hypothétiques que je ne relaterai pas par politesse…
Ma conjointe souligne toutefois le fait que cela ne ressemble pourtant pas à des crottes de canidés (en tant que propriétaires de plusieurs chiens au cours de notre vie, nous sommes fins connaisseurs en terme de crottes!). D’ailleurs, j’ai rencontré assez d’excréments de loups au cours de mon séjour pour seconder son observation. L’idée du chasseur nain incontinent reste l’hypothèse la plus plausible à ce point… hum...
Un orignal fantôme?
Il est environ 7h le matin. Nous sommes dans une forêt mixte, prêt de la limite Est de la pourvoirie, au coeur de l’immense vallée qui scinde notre territoire en deux.
Ma conjointe et moi suivons le lit d’un petit ruisseau en s'assurant de garder le vent en notre faveur. Une masse de conifères et d’arbustes plus denses m’amène à la contourner par une clairière de fougères beaucoup plus invitante.
À cet instant, j’entend du mouvement derrière cette masse végétale que l’on venait de contourner. Je fais signe à ma “tireuse” de se positionner derrière un arbre et de préparer son tir. Je me positionne stratégiquement et relance mon dernier “call”.
Il y a clairement quelque chose qui se déplace derrière ces conifères; assez gros pour déplacer l’enchevêtrement de branches arbustives, mais sans le vacarme à tout casser d’un “buck” que l’on sort de sa torpeur.
Incrédule devant la situation
Nous sommes à une quinzaine de mètres, tout au plus. Totalement indifférent à mon call “social” de prise de contact non plus, le mouvement s’éloigne tranquillement en suivant le lit du ruisseau. Malgré la densité végétale, je n’entend pas de branche casser.
Malgré le lit relativement ferme du ruisseau asséché, je n’entend pas le son caractériel de la démarche de l’orignal, à l’instar d’un cheval. Je suis incrédule. Ma conjointe se retourne vers moi d’un air perplexe. Voulant en avoir le coeur net, je lui fait signe de me suivre.
Après avoir vérifié que le vent jouait toujours en ma faveur, armé de ma corne bien en vue devant ma tête, je rentre à l'assaut à travers cette foutue masse de branche et d’épines. Je m’extirpe de l’autre côté pour découvrir une mince “trail” qui slalom autour des sapins matures.
Je tend l’oreil, mais plus rien ne semble bouger. J’observe le sol, mais aucune empreinte n’est visible. Nous suivons alors cette “trail”, parfois de bon pas, parfois à l’arrêt et l’oreil tendu, parfois avec une séance d’appel; mais notre orignal fantôme s’était envolé.
Un cimetière ou une table à dîner?
La matinée progresse et nous sommes revenus approximativement à notre point de départ sur la route principal. Tant qu’à patienter jusqu’au retour de mon père de son site d’affût, ma conjointe m’indique avoir repéré auparavant ce qui semble être une “trail” d’orignal non loin.
Sur place, je constate qu’il s’agit plutôt d’une ouverture naturelle à travers une jeune forêt d’épinettes. Il n’y a d’ailleurs aucune empreinte d’orignal dans les environs. Puisque nous avons un peu de temps à tuer, nous nous y aventurons tout de même par plaisir.
À très exactement 70 mètres de la route, suivant les chemins naturels de cette jeune forêt de résineux, je me bute à un cul de sac… ou plutôt à ce qui ressemble à un cimetière à première vue. Le crâne d’un porc-épic ou d’un castor me saute au yeux! Je prend un pas de recul pour observer la scène: bout de fémur, vertèbres, côtes, palettes d’omoplate, plumes de corbeaux, etc.
Je suis ébahie et émerveillé à la fois. Ma conjointe elle semble plutôt inquiète et pressée de partir… Je la convaincs de prendre au moins une minute pour étudier la scène. Les ossements très distincts d’un veau orignal m’amènent à penser au festin printanier d’un gros ours (rien pour rassurer ma partenaire). Mais alors pourquoi le crâne d’un gros rongeurs et les restes de corbeaux au même endroit?
À mes connaissances, l’ours est un chasseur opportuniste qui ne se donnerait pas la peine de cacher toutes ses proies au même endroit. Une main insistante me tire toutefois en dehors de l’endroit avant que j’ai pu analyser davantage les environs. J'essaye de détendre l’atmosphère en forçant l’hypothèse d’un rituel chaman amérindien, mais ça ne fonctionne pas vraiment…
Surprise sur prise!
Nous sommes le 3 octobre en fin de journée. Mon père chasse sur un plateau de montagne, aux abords d’un lac de tête, prêt de la frontière de la ZEC des Martres. Rien à signaler.
Une autre séance de chasse bâclée par les forts vents. À défaut de pouvoir s’entendre, communiquons par le nez se dit-il! Un leurre olfactif aux phéromones de femelles en oestrus est déployé.
La journée se termine toutefois sans aucun signe de vie. Même si l’envie d’une nuit à la belle étoile lui caresse l’esprit, l’appel de la faim et d’un pâté à l’oie au chalet l’emporta. Le leurre est laissé sur le site avec pour plan de revenir travailler le secteur (en espérant des vents plus dociles).
Le lendemain, à la suite d’une heure de route sur les pistes de VTT et de deux heures de marche “fine”, j’importais le contenu de la carte SD de la caméra de surveillance du secteur sur mon cellulaire. Surprise sur prise!
Nous avons littéralement ratissé en vain le sol à la recherche d’une empreinte pour confirmer hors de tout doute la présence de gros minet. Il n’y avait non plus aucun poil ou signe de marqueur quelconque autour de l’épinette porteur de phéromones.
Bref, outre cette photo digne de celles du monstre du Loch Ness, aucun signe de la présence d’un couguar n’a été repéré à cet endroit. La photo d’un joli “buck” encouragea mon père à vouloir chasser le secteur toute la journée.
C’est avec un large sourire que je lui proposa de lui laisser mes provisions du randonneur, au cas où il serait encore tenté de dormir ici à la belle étoile!
Sur le territoire d’un couguar sauvage
Au terme de cette longue semaine de chasse éprouvante, j'ai cherché dans quelques ouvrages disponibles des informations sur ce félin légendaire. Voici les extraits les plus probants du Guide des mammifères terrestres du Québec, de l'Ontario et des Maritimes.
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Il préfère les régions montagneuse, accidentées et difficiles d’accès [...]
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Il est nocturne; il s’aventure parfois de jour mais uniquement dans les endroits où il n’est pas dérangé.
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[...] Il délimite son territoire en déposant bien en vue des traces de son urine et de ses excréments.
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Strictement carnivore, [...] il camoufle ses restes qu’il reprendra plus tard [...].
À la lecture de ces informations, j’en conclus avec certitude que nous nous trouvions sur le territoire d’un couguar sauvage. J’aurais bien aimé en être témoin de mes yeux vus ou le capter sur le vif avec un meilleur cliché, mais on ne peut avoir de contrôle de cette nature sur la vie sauvage.
Nous pouvons seulement apprendre à l’apprécier et, à défaut de me répéter, puisse-t-il en être ainsi éternellement!